Actualités 2023

Pour Félix Mérine, ce résultat est le produit d’un effort intense

Félix Mérine, 61 ans, célèbre sa 11e victoire au Tour de Martinique en yoles rondes et annonce son départ à la retraite en beauté. Le futur retraité revient sur sa carrière, partageant ses souvenirs de débutant, ses triomphes, ses meilleurs et pires moments dans le monde de la yole, et discute de son avenir.

Comment vous sentez-vous après avoir remporté le Tour de Martinique pour la 11e fois ?
Je suis un homme comblé. J’avais déjà décidé de prendre ma retraite, quel que soit le résultat de ce Tour. Je suis dans ce sport depuis 35 ans. Je tiens à remercier mon équipe qui est toujours restée à mes côtés. Je suis très heureux pour mes hommes, pour mes jeunes qui m’accompagnent depuis maintenant 4 ans. Je ne suis pas du genre à me vanter, mais j’ai remporté ce Tour de la meilleure des manières. En particulier en gagnant la dernière étape à Fort-de-France, c’est quelque chose d’extraordinaire. Je peux partir en paix.

Votre 11e victoire a été marquée par l’obtention de 2 étapes, dont la dernière à Fort-de-France. Est-ce la cerise sur le gâteau ?
Absolument. Je ne m’y attendais pas car je n’avais pas spécialement prévu de remporter cette dernière étape. J’ai profité de la stratégie de Rosette sur la fin. Ça arrive. Chapeau tout de même à Kenny. Il a repris une yole qui a beaucoup de titres à son actif. Quand on est devant, on ressent une pression qui peut nous pousser à faire des erreurs. J’ai vécu cela. C’est mon expérience qui m’a aidé à gagner cette dernière étape dimanche. De plus, Fort-de-France est une ville qui me porte chance. Sur les 11 titres, j’en ai remporté 4 dans cette commune.

Une dernière étape lors de laquelle vous avez pu profiter du soutien du public à Fort-de-France et au Robert…
Ça s’est très bien passé. Je remercie ces personnes qui étaient si nombreuses. Au Robert, pour célébrer la victoire, ils étaient près de 4000 ! C’était vraiment incroyable. Je pense que cet engouement est dû au fait qu’ils savent qu’ils ne me verront plus sur une yole. Je les remercie sincèrement car depuis 35 ans, ils me soutiennent.

Lors du prologue, votre Tour avait mal commencé suite à quelques mésaventures…
C’est vrai que je voulais faire une entrée remarquée dans le Tour. J’avais donc décidé de mettre une grande voilure pour gagner le prologue. Il y a deux minutes de bonus à gagner et c’est très important. Je n’oublierai jamais l’édition 2009 durant laquelle j’ai perdu le Tour pour 17 secondes au Vauclin. Mon tempérament me permet de gagner des Tours, mais aussi d’en perdre. Je voulais ce bonus cette année. Malheureusement, nous avons chaviré. Le soir, lors du débriefing, nous étions inquiets, mais mon objectif était de m’amuser et de prendre du plaisir, puisque c’était mon dernier Tour. C’est ce que nous avons fait.

Cette 37e édition a été difficile pour tous les équipages, y compris le vôtre. En voyant Sara Energies Nouvelles/Autodistribution gagner trois jours de suite, étiez-vous inquiets
Je savais que le niveau était élevé puisque Sara avait comme concurrents sérieux Rosette, les deux frères Mas en plus de nous. Il est vrai que Diany Rémy et son équipage étaient très bons à la godille lors des premières étapes, mais nous ne pouvions pas passer une semaine dans les mêmes conditions. Je savais que nous pouvions rivaliser avec eux. Quand le vent a commencé à se lever, nous avons vu la différence avec différentes yoles qui se sont imposées. Lors de la dernière étape, pendant les averses en direction de Schœlcher, tout pouvait se jouer là aussi, nous étions inquiets. Les trois premières yoles étaient sur un fil. Toutes ces incertitudes ont rendu ce Tour encore plus beau.

Au début de votre carrière dans ce sport, imaginiez-vous marquer l’histoire de la yole en Martinique ?
Pas du tout. J’avais 24 ou 25 ans quand j’ai commencé. J’étais très jeune mais je me suis donné les moyens d’arriver là où je suis. J’ai remporté mon premier Tour en 1990. Tout cela est le fruit d’un travail acharné. Après 1990, il y a eu un creux. Nous avons perdu de 1991 à 1995. En 1995, nous avons remplacé tous les yoleurs qui n’étaient pas sérieux. Cela a peut-être été mal perçu, mais il fallait le faire. Nous avons commencé les entraînements physiques à terre. Tous les samedis, nous étions sur l’eau. Cela a payé tout de suite puisqu’en 1995 et 1996, nous terminons 2e et 3e. De 1997 à 2000, 2e et enfin la consécration en 2001 où l’on gagne trois fois d’affilée jusqu’en 2003. Aujourd’hui, nous sommes les plus titrés, mais cela demande un travail acharné.

Votre carrière a été marquée par la rivalité historique entre le François et vous, notamment face à Joseph “Athon” Mas, ou encore Georges-Henri Lagier pour ne citer qu’eux. Considérez-vous que cette période vous a permis de passer un cap tant au niveau de votre notoriété que sportivement parlant ?
C’est vrai que les yoles de François dominaient. Il y avait au moins 3 à 4 yoles qui pouvaient gagner le Tour. De mon côté, je succédais à Frantz Ferjule. J’étais seul face à ces différents patrons. Du coup, même si les gens n’étaient pas du Robert, le fait de voir que je luttait seul face à toutes ces yoles a probablement joué en ma faveur pour ma notoriété. Sportivement parlant, ces rivaux m’ont également fait progresser. Ils connaissaient très bien la yole. Ils étaient de meilleurs patrons que moi. Du coup, avec mon équipe, nous nous entrainions tous les samedis et dimanches. Quand nous avons commencé à résister, c’est de là que tout est parti. D’ailleurs, il y a beaucoup de gens du François qui me soutiennent car ils ont vu que je me battais contre vents et marées.

Quelles éditions vous ont le plus marqué durant votre carrière ?
Mes deux plus belles victoires ont été les éditions de 1990 et de 2023. En 1990, j’étais jeune, je remporte mon premier Tour en terres franciscaines. Aujourd’hui, je pars sur une victoire en 2023 avec panache. Les autres Tours, ce n’est pas la même chose car nous dominions vraiment. Il y en a un que j’ai gagné avec près de 45 minutes d’avance. C’est marquant, mais mon dernier et surtout mon premier Tour, trois ans après ma nomination en tant que patron, c’était quelque chose d’extraordinaire.

Quel est votre meilleur souvenir durant votre carrière, sur le plan humain ?
C’est l’intégration dans l’association de personnes issues du milieu carcéral. C’est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie, en plus d’élever mes enfants. Ce sont des personnes qui étaient en difficulté en prison et qui ont pu sortir et venir travailler avec moi. Je remercie le maire du Robert de leur avoir permis de se réintégrer de cette manière. La yole m’a beaucoup aidé dans ma vie et c’est la même chose pour eux. Certains n’ont pas continué au sein de l’association car l’entrainement était dur, d’autres sont restés. C’est ma plus grande fierté au sein de l’association car ils ont réussi à se réinsérer grâce à la yole.

Quel est votre pire souvenir ?
En 2012. À la Caravelle, une vague de près de 10 mètres de haut a fait chavirer mon équipage et moi. J’ai eu très peur ce jour-là pour nous tous. Sans exagérer, c’était comme si nous étions dans une machine à laver. La yole s’est retournée plusieurs fois, la voile plantée dedans, le mât n’a pas quitté la yole. Quand cela s’est calmé, je cherchais partout mes coursiers.

Parlez-nous de vos débuts, comment avez-vous commencé à pratiquer la yole ronde ?
Je viens d’une grande famille. Nous devions nous débrouiller seuls. J’ai perdu ma mère très tôt, à 20 ans, et je n’ai pas connu mon père. La seule chose que j’avais à côté de moi, c’était la mer. J’avais deux choix : la délinquance ou le travail. J’ai choisi le travail et en même temps le sport. N’ayant pas mon père, mes oncles, à qui je souhaite rendre hommage, m’ont aidé à mes débuts. Ils m’ont pris sous leurs ailes. Il fallait que je m’en sorte socialement parlant. J’ai beaucoup travaillé. Je suis parti à l’armée. Quand je suis revenu, j’ai commencé notamment sur une yole trinitéenne, basée au Robert. Quand j’ai eu un peu d’expérience, je suis monté avec Frantz Ferjule pendant un an. J’ai rencontré monsieur Georges Brival que je respecte énormément. Quand il m’a vu à 25 ans sur la yole de mon oncle et après quelques conversations avec Frantz quand j’étais avec lui, il m’a dit qu’il allait me construire une yole. J’avais peur mais il m’a rassuré. C’est de là que l’aventure est partie. Merci encore à lui car il m’a lancé. Je remercie tous ceux qui m’ont soutenu par la suite.

Au cours de votre carrière, vous avez rencontré des figures du monde de la yole qui vous ont marqué…
Oui tout à fait. Tout d’abord, je félicite les hommes qui m’ont toujours accompagné durant ces 35 ans de carrière. Ils sont entre 500 et 600 personnes à avoir travaillé avec moi sur ma yole. Nous avons connu des galères, de la joie, c’est ce qui a forgé le mental de cette association. Des personnes comme Patrice Montlouis-Félicité, Marcel Mangattale, Jean-Michel Annette, Denis Brena, Manuel Abraham, Eric Nomel et tous ceux que je n’ai pas cités. Ils ne sont plus coursiers mais ils sont restés aussi pour encadrer les jeunes. Frantz Ferjule était, quant à lui, mon idole. Je voulais monter sur sa yole.

Votre année 2022 a été marquée par le décès de Fred Miram-Marthe-Rose. Qu’est-ce qu’il représentait pour vous ?
C’était un homme vraiment important pour moi. Qu’il repose en paix. Il a écrit un livre sur moi dans lequel j’ai dû me livrer énormément. Ce qui n’était pas du tout facile. Comme par exemple le fait d’évoquer mon père que je n’ai pas connu. Je l’ai fait pour faire comprendre aux gens que malgré tout, il ne faut jamais perdre espoir. J’ai su me construire malgré tout. Fred m’a permis de parler de tout cela. S’il était là aujourd’hui, il aurait été très content car c’est quelqu’un qui m’aimait beaucoup et que j’aimais énormément. Je pense que de là où il est, il doit nous regarder et être content pour moi.

Maintenant que vous avez arrêté la yole, qu’avez-vous prévu de faire ? La formation des jeunes semble être un objectif important pour vous…
Absolument. Je pars tranquille car j’ai un petit groupe de jeunes qui est prêt. Je les accompagnerai pour qu’ils puissent voler de leurs propres ailes. Ma priorité sera de former ces jeunes au Robert, en bébé yole déjà pour qu’ils puissent acquérir une expérience leur permettant de monter sur les grandes yoles. J’essaierai aussi de réaliser des opérations avec le centre pénitentiaire de Ducos. Éventuellement en récupérant des jeunes en fin de peine pour leur permettre de s’insérer, de pratiquer du sport, pour exister dans la société. Ils ne demandent que cela. Une fois que tous ces jeunes seront formés en bébé yole, je pense même à les intégrer sur une autre yole du Robert ou créer une autre association de yole qu’ils pourraient intégrer.

Nous constatons, à travers vos propos, votre désir de faire progresser la yole au sein de toutes les associations robertines et pas seulement à UFR…
Tout à fait. UFR fait partie de moi. Cela ne changera jamais, ils seront toujours dans mon cœur à vie mais c’est vrai que je souhaite faire progresser tout le monde. Au Robert, nous n’avons qu’une seule yole qui domine. Au François, il y en a plusieurs avec 20 titres remportés en tout ! Je pense qu’il faut avoir 2 ou 3 yoles performantes dans une même commune pour pouvoir rivaliser. C’est ce qui nous permettrait de progresser.

Pensez-vous monter un projet de valorisation de la discipline à l’image de GFA Caraïbe et Christophe Dédé ?
Non, je ne pense pas. J’irai petit à petit. Les personnes qui souhaitent monter des projets de ce type, je les accompagnerai. Mais je ne suis plus tout jeune. Je préfère pour l’instant former les jeunes, notamment un de mes fils en bébé yole. Mon défi est surtout axé sur les jeunes du centre pénitentiaire afin de les valoriser davantage.

Plusieurs jeunes patrons performent dans le monde de la yole aujourd’hui. Y en a-t-il un, selon vous, qui pourrait dominer la discipline comme vous ou vos anciens illustres rivaux ?
Je pense que Diany Rémy a une avance sur Kenny Exilie et les frères Mas par exemple. Pour Kenny, c’était son deuxième tour. Comme je l’ai dit auparavant, il est sur une yole historique et ce n’est pas facile de gérer toute cette pression tout de suite. Cela viendra. Les frères Mas sont présents également mais cela fait longtemps qu’ils sont patrons. Ils sont très bons mais Diany les a dépassés et je pense que ce dernier pourrait exploser dans les années à venir.

Quel serait le message que vous auriez aimé adresser aux jeunes désireux de percer dans la yole ?
Je leur souhaite d’avoir une rigueur, une discipline, d’être sérieux, des qualités si importantes pour réussir dans le sport mais dans la vie de tous les jours. Il faut avant tout se respecter pour que les gens nous respectent. Il ne faut jamais abandonner, toujours travailler pour obtenir des succès. Gagner tout le temps, être sollicité par les supporters, les médias etc., c’est bien, mais derrière, pour obtenir tout cela, il y a tout un travail effectué en amont. Rien n’est facile. Si nous ne mettons pas la volonté et la détermination pour obtenir ce que l’on souhaite, nous n’arrivons à rien. C’est ce que j’aimerais qu’ils comprennent.

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